[Cerys] Money is the motive ?

King's cross, 18h55. Encore un lieu à la croisée des chemins. Pour des tas de gamins élevés du mauvais côté du monde, la magie commençait ici. Moi-même, bien que sang-pur issu d'une famille adepte de la hiérarchie du sang, j'avais gardé un souvenir indélébile de la toute première fois où j'avais basculé de l'autre côté de la voie 9 3/4. Un lieu mythique pour tout élève de Poudlard et pourtant gangrené par la racaille moldue qui conservait la main mise dessus. Alors que je foulais le toit de cet édifice à l'heure où tous rentraient chez eux rejoindre leur pavillon de banlieue, je les regardais s’agglutiner sur les quais tel des rats. Fasciné par le spectacle, j'en vins même à m’accroupir pour mieux profiter de la vue que les carreaux de la verrière m'offraient. Il aurait été si aisé de leur lancer un feudeymon puis de disparaître, mais je n'étais pas un monstre sans cœur tout de même.

Je relevais le visage alors qu'un vent glacial venait me souffler à la figure. J'avais transplané dans l'idée d'attendre une heure maximum, mais avec ce temps, je décidais de raccourcir ma patience à 20 minutes. Si la blondinette dont j'avais vu défiler le nom dans les dossiers de ministère ne répondait pas à mon invitation alors tant pis pour elle, la récompense serait pour un autre plus téméraire. Mon esprit vagabonda jusqu'à elle, j'ignorais tout de son visage, le dit dossier ne comprenait aucune photo, seulement une sommaire description et quelques paragraphes sur ses origines. On la disait presque cracmol, aussi j'avais des doutes sur ses compétences, elle était pourtant restée insaisissable jusqu'à présent, échappant à la justice comme j'y avais moi-même échappé mais de si peu. Mes sentiments oscillaient entre la curiosité et la peine pour sa condition, mais Dieu nous enseignait à accorder notre bienveillance à toutes ses créatures... tant que la hiérarchie était respectée, bien entendu.

Je me relevais lentement et enfouissais mes mains dans les poches, mon regard se porta alors sur un horizon noir de geai, mais chose rare pour Londres en cette saison, déjà parsemé d'étoiles. C'est alors que j'entendis un bruit sourd derrière moi. J'inclinais légèrement la tête pour mieux en percevoir les sons, mais sans faire aucun autre geste. Sous nos pieds, une horloge carillonnait, annonçant les 19h.

- Pile à l'heure. La ponctualité est une qualité qui se fait rare, Miss Wheeler.

Je me retournais seulement, scrutant ses traits fantomatiques alors que nous n'étions éclairés que par les néons à la lumière blafarde situés une vingtaine de mètres plus bas.

- J'espère que vous ne craignez pas le vide.
   


   
   

Je relevais la tête, la basculant même un peu en arrière de sorte à toiser l'apparition. Je n'étais pas un lapereau innocent et naïf, j'étais un langue-de-plomb, engagé pour mon intelligence, mon calme, mon sens de l'observation et ma capacité de déduction. J'étais, qui plus est, un mangemort, la pire espèce de mage noir encore en activité. Je ne pouvais pas me permettre un échec de plus, où c'est ma tête qui serait servie sur un plateau d'argent en signe d'avertissement lors de la prochaine réunion avec le Lord, un hors-d'oeuvre que je soupçonnais peu aux goûts de la famille Malefoy.

Je me mis à marcher lentement de long en large sur une distance d'à peine quelques pas, des pas légers mais qui claquaient pourtant sur le verre. Mon regard ne se détacha jamais de la jeune femme, mon sourcil relevé indiquant que je restais toujours en pleine réflexion.

- Si je résume, votre réponse est un non. C'est étrange, l'homme, par essence, déteste le vide Miss Wheeler. Celui sous ses pieds, comme nous le foulons en ce moment. Celui qui entoure son cœur lorsque la solitude devient sa seule amie. Celui des silences gênants qui s'instaurent entre des amants incapables de partager plus que leur corps. Celui qui nous laisse dans l'expectative et l'incapacité à choisir un chemin... tout comme celui qui se présente devant lui.

Mes pieds cessèrent leurs allées et venus une fois de retour à mon point de départ. Je tournais alors mon visage vers le vide, en bas la fourmilière était déjà un peu plus éparse avec le départ de plusieurs trains. Je sortis une main de mes poches pour la passer sur mon menton, un geste m'aidant à aiguiser mon raisonnement.

- Je ne suis pas là pour jouer. Quant à "votre" territoire, prenez-y garde, un seul minuscule petit impact et il s’effondre. Rien n'est plus fragile qu'un empire friable Miss Wheeler, alors aussi grand soit-il, vous ne devriez pas tant vous en vanter, Dieu seul sait ce que vous pourriez perdre à attiser la concupiscence d'autrui.

Je sortais alors ma main droite restée au chaud, mes doigts empoignant ma baguette qui vint zébrer l'air jusqu'à briser l'apparition, détruite en des milliers de tessons. À l'aide de ma baguette, je retins une bande large du miroir dans lequel brillait une unique prunelle bleue. Statique dans les airs à part un léger tremblement, la pointe la plus acérée du verre prenait une teinte orangée flamboyante.

- J'espère pour vous que vous avez mieux observé votre soit-disant terrain de jeu que vous n'avez pris de peine à installer votre piège, ou, où que vous soyez, vous serez emportée comme tout ce qui fait ce toit lorsque ce morceau viendra à le faire exploser.

Et moi ? Je transplanerais, j'avais le temps pour ça n'est-ce pas ? Et elle, était-elle capable de se téléporter ? Devais-je seulement m'en soucier ?

- Je n'ai pas de temps à perdre, prévins-je une ultime fois. Ou vous êtes mon homme, ou vous m'êtes d'aucune utilité.
   


   
   

Je maintenais toujours le tesson dans les airs, incliné vers la verrière comme un couteau brandit au-dessus d'un corps endormit, pourtant j'hochais la tête d'acquiescement à l'aveuglette, la rafleuse n'étant toujours pas sortie de sa cachette.

- Vous voyez juste, j'ai quelque chose à perdre contrairement à vous. Un fardeau qui me rend à la fois plus fragile et plus dangereux comme l'éruptif qui n'est jamais aussi redoutable que lorsqu'il se sait acculé.

La suite des paroles furent plus sages encore, suffisamment pour que je fasse montre de bonne foi en premier, après tout il n'y avait rien à gagner à camper chacun sur nos positions. Je fis un mouvement du poignet et le morceau de verre s'effrita jusqu'à n'être plus qu'un nuage de poussière emporté par le vent. Je gardais toutefois ma baguette dans la main, se serait à elle de faire le prochain pas, sécurité oblige.

- Je suis... j'étais bon comédien, mais aujourd'hui il n'est pas question de rôle, en revanche j'ai effectivement besoin de vous pour un travail délicat et pour lequel je vous crois tout à fait capable.

Je tournais sur moi-même lentement pour essayer de deviner sa position, il devait s'agir d'un endroit où elle ne raterait rien du spectacle, ce qui ne manquait pas lorsque nous étions sur les toits de la ville, le sonorus se chargeant de brouiller les autres pistes. Merde, j'étais incapable de deviner son emplacement exact.

- Il y a de l'argent à la clé, une belle somme. Le Seigneur des Ténèbres sait se montrer généreux avec ceux qui se montrent méritant, dis-je en me remémorant que le meilleur moyen d'appâter un rafleur était de lui faire renifler le doux parfum ferreux de l'or. De plus, je travaille au ministère, il me serait peut-être possible de me glisser jusqu'au bureau des aurors pour y soustraire quelques feuillets de votre dossier si notre collaboration devenait aussi fructueuse que je l'espère... Et bien sûr, je m'engage à remplacer votre miroir, mon intention en agissant de la sorte n'était pas de vous priver de vos biens.

J'écartais le bras, ma baguette tenue avec mollesse au bout de mes doigts en attendant qu'elle se montre.

- Est-ce que vous vous souvenez de votre adolescence, Miss Wheeler ?

   


   
   

Une petite palissade disparue sur ma droite, je me tournais tout à fait pour voir la silhouette bien réelle de la rafleuse se dessiner sous le faible halo lunaire. Je ne pus empêcher le coin de ma bouche d'esquisser un sourire et histoire d'enterrer définitivement la hache de guerre, rangeait bien à sa vue ma baguette dans ma veste. Je remarquais immédiatement sa démarche féline aux pas assurés, ce qui était plutôt rassurant pour une chasseuse.

- La mise en scène que vous m'avez réservé ne m'a pas déçu. Désappointé peut-être, mais je vais prendre vos précautions pour un compliment.

Je basculais légèrement la tête en arrière et croisais mes mains en l'observant s'approcher de plus en plus. La différence était subtile, mais je préférais largement cette apparition à la précédente.

- Je n'aime pas avoir de dette, choisissez ce que vous voulez en réparation dans ce cas. Vous pouvez prendre le temps qu'il vous faudra pour ça si nécessaire.

Je lui offris ma main lorsqu'elle parvint à ma hauteur. Je tiquais à sa réponse concernant l'adolescence, ce n'était vraiment pas ce à quoi je me serai attendu. "Pauvre", mais avait-elle été triste ? La demoiselle ne manquait pas d'atouts, mais au regard d'autrui son manque de magie était pourtant une plaie qui gâchait tout ce qu'il y avait de positif en elle. J'éprouvais alors un élan de compassion comme seul ma foi pouvait m'en inspirer.

- Alors tachons de rendre à l'adolescence un peu de son amusement. Si vous voulez bien prendre ma main.

J'insistais pour qu'elle pose ses doigts graciles sur ma paume et transplanais, atterrissant à quelques mètres de là, un peu plus au chaud en face du panneau indiquant la voie 9 3/4. Je savais qu'elle avait été privée de ce passage si particulier qui signait notre entrée officielle dans le monde de la magie, aujourd'hui, il signerait son entrée dans mon monde à moi. Je lui laissais le temps de retirer elle-même sa main et tentais d'ignorer les moldus encore trop présents autour de nous. Instinctivement, ma main libre se refermait sur elle-même avec crispation, je décidais alors de cacher mon poing en l'enfouissant dans ma poche. À présent sous la lumière blafarde de la gare, je percevais chacun de ses traits en détails.

- Je veux que vous enleviez un adolescent pour moi, mais pas n'importe lequel je vous l'avoue. Je veux que vous enleviez un ami d'Harry Potter.

Je détournais mon regard pour lever le nez vers une horloge, elle affichait 19h13. Il nous restait 5 minutes avant de manquer le prochain train.

- Si l'idée ne vous pose pas problème, nous pourrions évoquer les détails en chemin, ajoutais-je.
   


   
   

J'hochais la tête d'acquiescement, les limites qu'elle fixait m'allait parfaitement. Moi-même, je ne me considérais pas d'une violence aussi extrême que mes comparses. Jadis, je n'avais même pas envisagé de me salir les mains dans des tortures, mais ma bonne fortune ayant décidé de me prendre à revers, j'étais allé de déchéance en déchéance. Aujourd'hui ma vie était dans la balance et ma colère était grande. Il suffisait que je puise dans cette colère pour être capable du pire à ma grande honte, me perdant un peu plus moi-même à chaque souffrance non nécessaire que j'infligeais. La torture était l'arme des lâches, aussi je préférais que les rares proches que j'avais ne sachent rien des gestes qu'il m'arrivait d'avoir.

- Tant mieux, je tiens à ce que ma cible me parvienne saine et sauve.

C'était l'idée de base, mais utiliser le gamin pour attirer Potter hors de sa cachette ne serait sans doute pas suffisant. Ce plan avait déjà échoué par le passé, il nous fallait trouver autre chose pour nous permettre de l'atteindre, hors qui était mieux placé pour nous apporter cette information que son plus proche camarade ? Jusqu'où devrions-nous aller pour l'obtenir était une autre question à laquelle je ne préférais pas songer pour le moment.

[...]

À présent au milieu de la gare, je songeais à sa requête. Un animal de compagnie, encore une fois la demoiselle se montrait déconcertante. Je détournais mon regard de l'horloge pour le poser à nouveau sur elle, une moue mutine d'ingénue éveillait ses traits, je ne pouvais alors m'empêcher de faire un parallèle entre ce visage et celui de ma fille usant de ses yeux doux pour me faire un caprice. Réussite garantie dans 100% des cas, d'ailleurs.

- Je vous ferai parvenir un hibou lorsque le contrat aura été rempli.

Et réussi, cela allait de soi. Sa main fraîche vint se poser sur ma joue alors que mon sang ne cessait de bouillir, me faisant oublier les températures de la gare avoisinant les 0°. J'allais de surprise en surprise bien qu'un simple haussement de sourcil vint répondre à son geste. Je posais ma main sur la sienne et la retirais doucement.

- Si vous acceptez de me suivre maintenant.

Sans plus de somation, je l'invitais à se retourner pour se diriger droit vers le mur indiquant la voie 9 3/4, ma main appuyée sur son dos. Malgré l'épaisseur de son manteau d'hiver, je sentis ses muscles se tendre signe d'une excitation, d'une gêne ou d'un mécontentement. Je me doutais en tout cas que sa présence sur ce quai n'avait rien d'anodin pour la belle. Je n'eus pas le temps de creuser d'avantage les choses une fois parvenu de notre côté du monde, à la fois à quelques mètres seulement et à des années lumières des moldus, je retirais ma main et entendais déjà la locomotive entrer en gare. Les sifflements assourdissants m'obligèrent au mutisme. De rares passagers attendaient le long de la voie ferrée, quelques voyageurs, deux gamins aux lourds bagages renvoyés à Poudlard un peu avant la rentrée et, assise seule sur un banc, une silhouette lugubre que je jugeais comme appartenant à une harpie. Le train serait très calme ce soir. Alors qu'un contrôleur en uniforme sortait d'un wagon, je me munissais de mes deux billets que je lui tendis. Je jetais un dernier coup d'œil à ma nouvelle alliée, m'assurant qu'elle avait fait le choix de me rejoindre.

Je me faufilais alors dans le Poudlard express, comme je l'avais fait pour la première fois il y a 31 ans de ça. Rien n'avait bougé, aussi je choisis au hasard l'un des multiples compartiments en me remémorant que quelque part dans ce train, devait se trouver graver mes initiales et celles de Cissy, une marque que nous avions apposée ensemble en gagnant autant en centimètres qu'en témérité lors de notre seconde rentrée. Je ne me souvenais absolument pas de l'endroit que nous avions choisi pour notre méfait, dommage, un élan de nostalgie ne m'aurait pas déplu. Je retirais ma veste et m'installais sur l'une des deux banquettes, attendant que Cerys m'y rejoigne pour reprendre notre discussion.

- Ronald Weasley. Je crois savoir qu'il va souvent à Pré-au-lard, ce gamin semble peu enclin à passer son temps enfermé dans la bibliothèque de l'école. Avec la reprise des cours, je suis sûr qu'il ne manquera pas de faire une petite balade pour profiter des rabais que propose les boutiques en cette saison.

Je me mordis la langue pour m'empêcher d'ajouter un mot sur sa pauvreté justifiant un tel comportement. Je croisais mes jambes pour poursuivre mes consignes.

- Il a 16 ans, un adolescent au plus fort de sa crise, je suis absolument certain qu'entre vos compétences et votre joli minois vous trouverez le moyen de l'appâter. Vous devrez alors l'emmener ici...

Je glissais un morceau de parchemin où était inscrit l'adresse du manoir Wilkes.

- ... en faisant en sorte qu'il ne voit pas la maison, sait-on jamais ce qu'il pourrait raconter lorsqu'il retrouvera la liberté.

Car c'était bien mon intention, le jeune Weasley était sur une mauvaise pente mais c'était encore un enfant, sang-pur qui plus est, il méritait une seconde chance.

- Départ immédiat ! Le train arrivera en gare de Pré-au-lard à 00h45 !

Un dernier sifflement et le wagon se remettait en route.
   


   
   

- Propre ou sale ? Répétais-je dans un petit ricanement. Je ne m'étais pas posé la question, mais c'est un garçon, pas un porc moldu. Disons que je vous donne carte blanche, vous pouvez jouer avec lui, lui faire peur pourquoi pas, si ça pouvait le rendre plus malléable.

Je posais mon coude contre le rebord de la fenêtre et vint appuyer mon visage dans le creux de ma paume. Un sourire ne me quittait pas alors que je renvoyais une question un brin similaire sur le colis destiné à la demoiselle en échange du mien.

- Et pour votre oiseau, vous avez des attentes particulières ou ce sera à moi de le choisir ?

Je tirais à nouveau ma baguette de ma veste posée à mes côtés pour appeler d'un accio un morceau de papier tiré d'un article datant de l'année dernière et visant à faire passer Harry Potter pour un fou. Derrière le binoclard se distinguait très nettement ses deux compagnons à savoir la sang-de-bourbe et le rouquin. Je fis flotter le morceau de journal dans les airs à hauteur du regard de la rafleuse

- Tout ce que je sais sur lui c'est qu'il joue au quidditch, qu'il est mauvais en classe et que les membres de sa famille sont connus pour se reproduire comme des gnomes de jardin. Je ne possède aucune entrée à Poudlard qui me permet d'espionner là-bas, c'est l'une des raisons qui me font compter sur votre talent.

Il y avait cette raison officielle, une autre m'incitant à ne pas opérer moi-même au risque de détruire définitivement ma mince couverture si l'enlèvement venait à foirer, une autre enfin moins avouable me permettant de diminuer ma part dans l'échec aux yeux du Seigneur des Ténèbres si l'opération devait mal tourner. Comme je le disais en début de soirée, je n'étais pas un naïf petit lapereau. Je suivis du regard machinalement (mais si voyons, je suis un homme marié !) les petits doigts fins de la jeune femme aller se perdre dans son décolleté. Lorsque je relevais mes iris sur les siens, cette dernière me scrutait d'un air provocant que je ne pouvais manquer. Je lui souris en coin pour toute réponse et maintenait suffisamment longtemps mon regard ancré dans le sien pour ne pas la laisser croire que j'étais un gamin que l'on pouvait facilement effaroucher. Une partie de moi en était flatté toutefois, mais je gardais à l'esprit qu'il ne s'agissait sans doute qu'une ruse de rafleuse pour tenter de me manipuler, je n'oubliais pas que j'avais pratiquement l'âge d'être son père. Il nous restait environ 5h à passer en tête-à-tête.

- J'espère que vous ne regretterez pas cette précipitation. D'ailleurs, je me rends compte que je vous ai prise au dépourvu. Je transplane tous les jours de Pré-au-Lard à Londres, si vous avez besoin que je vous rapporte quelques-unes de vos affaires, la moindre des choses serait de vous satisfaire.

Un grincement de roues se faisait entendre au fond du wagon alors que notre compartiment était resté ouvert, celui de la vendeuse ambulante et de son chariot chargé en mets, particulièrement en sucreries.
   


   
   

- Je vous fais suffisamment confiance pour ça, dis-je poliment en déclinant la proposition. Cependant, j'imagine qu'il paniquera tout de même une fois que vous lui aurez ligoté les mains et bandé les yeux. À moins que le jeu soit à son gout, mais j'en doute. Regardez-le, il a le visage d'un jeune puceau à peine sortit des jupes de sa mère.

Je fis une petite moue. Je n'avais rien d'un adolescent pour ma part, il me faudrait bien plus que quelques sous-entendus tendancieux pour me mettre mal à l'aise. Échec Mademoiselle Wheeler.

- Je n'y connais rien en hibou, ne projetez pas trop de moi dans le choix que je ferai.

Un petit mensonge, je passerais suffisamment de temps à choisir l'animal pour qu'il me rappelle la jeune femme, la ménagerie magique devait proposer un choix en rapace suffisant pour m'y aider. Encore fallait-il que le roux soit conduit à bon port. Je rangeais ma baguette et hochais la tête, je connaissais les détails de l'image par cœur.

- Des amants, à 16 ans ? Pardon, je reformule. Des gryffondors dépucelés à tout juste 16 ans ? Il leur faudra au moins deux ou trois années de plus avant de voir le loup. Et avec une sang-de-bourbe ?

Je levais une main et fermais brièvement les yeux pour expliciter mes pensées concernant la hiérarchie du sang.

- Je ne crois pas que les sang-de-bourbe doivent être éliminés, je pense que si Dieu leur a donné la magie, c'est dans le but de les élever dans la hiérarchie, de les rapprocher de l'élite, un maillon entre les sorciers et les moldus. Mais de là à forniquer avec ?

Je secouais négativement la tête en faisant claquer ma langue contre mon palais. Mon ouverture d'esprit (aheum) avait ses limites. Je l'écoutais ensuite patiemment évoquer le capharnaüm de ses idées. Je l'observais s'éveiller, s'emballer alors que son esprit fourmillait pour mettre au point son plan d'action. Je ne l'écoutais que d'une oreille, le moyen m'importait peu pour être honnête, mais j'aimais voir cette flamme de femme affirmée balayer un temps la moue de lolita aguicheuse. Mon sourire en coin ne me quittait plus. J'avais prévu de lui faire parvenir le plumeux par livraison, mais peut-être le lui amènerais-je en main propre pour la voir parader sur la façon dont elle s'y était prise.

- J'aurais du mal à m'imaginer dans la peau d'un Weasley.

Murmurais-je à moi-même au milieu de son flot de paroles. Il était évident qu'elle se fichait de ma réponse, ses questions s'adressaient uniquement à elle-même. Quand elle cessa de parler, un silence s'instaura quelques instants seulement interrompu par le bruissement de ses doigts sur mon col.

- De vous satisfaire, exactement. Profitez-en, ce n'est pas tous les jours que je joue les bagagistes.

Mon sourire s'intensifia et je me levais pour ouvrir le compartiment, fouillant dans mes poches pour en sortir ma bourse. Le choix du mot n'avait rien d'innocent, puisqu'elle aimait provoquer pour asseoir sa supériorité, je comptais bien rentrer suffisamment dans son jeu pour lui rendre la monnaie de sa pièce et prendre le contrôle de la situation, ce dont, je le devinais, elle n'avait sans doute plus l'habitude depuis longtemps. Cette fille m'amusait, il fallait le reconnaitre.

Alors qu'elle prenait des patacitrouilles, je me contentais de commander un café, lequel venait dissiper les dernières sensations de froid dans mes veines. Je réglais le tout de quelques mornilles avant de me laisser retomber sur mon siège.

- Je vous ai trouvé un logement pour la nuit et pour aussi longtemps qu'il vous sera nécessaire de l'occuper jusqu'à parvenir à vos fins. Mais libre à vous d'en trouver un autre, ce ne sont pas les lits à louer qui manquent à Pré-au-Lard, surtout à cette époque de l'année.
   


   
   

- Peut-être, peut-être pas, dis-je en me mettant à mâchonner le bâtonnet en bois qui accompagnait mon café. Tout le monde ne désire pas tout le monde Miss Wheeler. J'avais moi aussi une amie à Poudlard qui m'est restée très chère, je peux pourtant vous assurer que je ne l'ai jamais considéré autrement que comme un sœur.

Narcissa, ma froide Cissy, que me dirais-tu à me voir ainsi souffler le froid et le chaud sur une gamine en manque de tendresse ? Sans doute que tes répliques cinglantes me remettraient sur le droit chemin de l'austérité propre à nos croyances. Mais la gamine en question avait quelque chose de rafraîchissant qui me changeait du regard réprobateur que Sephira me portait de plus en plus souvent. D'ailleurs, elle m'arracha un nouveau ricanement à sa réplique très politiquement incorrecte. Je retrouvais mon sérieux en faisant glisser une gorgée de café chaud sur ma langue avant de lui répondre.

- Je reconnais qu'il est à un âge où certains garçons sont tellement émoustillés par leurs hormones qu'ils pourraient envisager de sortir avec un strangulot.

À noter que pour ma part, je préférais encore le strangulot à la sang-de-bourbe. Je refusais poliment d'un geste la patacitrouille, je n'aimais pas beaucoup les sucreries.

- N'importe quel homme bien élevé ne devrait jamais laisser une femme dormir dehors en plein hiver, surtout en Ecosse et quand il en espère quelque chose. Je ne crois pas qu'on obtienne le meilleur de quelqu'un en le maltraitant, la voie de la force devrait toujours être le second choix à moins d'avoir en face de soi un ennemi.

Je terminais mon café et posais le gobelet sur le côté. Je me penchais alors pour regarder la rafleuse dans les yeux, mes doigts venant se poser délicatement sous son menton pour maintenir le contact.

- Une bonne relation est un luxe et je ne tiens précisément pas à devenir votre ennemi.

Je souris à nouveau du coin de la bouche et reculais en la libérant de mon emprise. Je m'enfonçais alors dans mon siège, la tête un peu en arrière tournée vers la fenêtre bien que de nuit, il n'y avait pas grand chose à y voir

- Vous avez d'autres questions ? Dans le cas contraire, je vous invite à trouver de quoi vous occuper, le voyage va être encore long.
   


   
   

- Je crois que quand on aime quelqu'un, le doute n'est pas permis.

Dis-je simplement, peut-être un peu facilement. J'avais toujours vu clair dans mes sentiments, peut-être parce que j'avais été entouré de parents aimants et avais fini par rencontrer une femme tout aussi aimante malgré ma mauvaise réputation. Ne pas réussir à fonder mon propre foyer aurait été pour moi un échec, l'esprit de famille était inscrit dans mes gènes.

- Et vous êtes assez drôle pour une rafleuse, lui répondis-je du tac-au-tac. Et propre. Je croyais que l'hygiène était une option que les rafleurs omettaient tous de prendre.

Je ne la taquinais qu'à moitié, j'avais croisé Fenrir Greyback une fois ou deux au manoir Malefoy, il dégageait une odeur de bouc à faire passer la tête de sanglier pour une parfumerie de luxe. Me remémorant ce souvenir, j'en vins à me trouver chanceux de ne pas avoir engagé le loup-garou et d'avoir alors à partager le même air d'un si petit espace en sa compagnie. Cerys montrait sans dédain total pour les bonnes manières, mais au moins son parfum restait agréable. Elle me prit la main sans gêne aucune, une fois de plus, et soupira sur mon alliance. Alors que la conversation déviait à nouveau sur les relations amoureuses, je ne pus m'empêcher de faire tourner l'anneau en or jaune autour de mon annulaire, un geste machinal dont j'avais à peine conscience, mais qui en disait long sur l'attachement que j'accordais au petit objet.

- Le bonheur est un vaste sujet. Je ne peux me targuer d'avoir accompli tous mes souhaits, mais j'y travaille et si c'est là votre question Miss Wheeler, ma vie privée est sans doute ce qui m'apporte le plus de joie au quotidien.

Je croisais mes bras, enfouissant mes mains sous mes aisselles, un air un peu plus froid que je ne forçais pas s'affichait sur mon visage. Je me refermais vite comme dès qu'il était question de ma famille, même si jusqu'à présent la conversation restait très évasive. Je menais une vie dangereuse contre la volonté de mon épouse, alors en contre-partie je faisais de mon mieux pour les protéger et les tenir éloigné de tout ce qui était en rapport avec la marque apposée sur mon avant-bras. Je voulais préserver ce tout petit espace, continuer à être le bon père de famille dans les pupilles des femmes de ma vie et non le mage noir crains et détestés ou le traître dont il fallait se méfier. Je leur devais au moins ça pour les risques que je leur faisais courir, l'illusion d'une vie tranquille, banale et sans dangers.

- Je ne le savais pas et je ne sais pas plus aujourd'hui si c'est elle qu'il me faut. À bien y réfléchir, elle n'est sans doute pas la personne qu'il m'aurait fallu, mais c'est celle que j'ai voulu malgré tout.

Mes réponses eurent l'air d'avoir l'effet escompté alors qu'elle se mettait à jouer avec une toupie, telle une enfant au summum de l'ennui. Elle ne me regardait plus, mais moi je l'observais avec plus de curiosité, la tête penchée sur le côté.

- Parce que vous l'avez un jour raté ? Je n'ose imaginer votre déception à la fin de l'été de vos 11 ans, ni celle de vos parents. J'imagine qu'ils n'ont pas été très tendres.

Comme tout sang-pur se retrouvant avec du sang frelaté dans son arbre généalogique, mais la pureté demandait parfois quelques sacrifices. Je me doutais que l'enfance de la quasi cracmole n'avait pas dû être des plus douces. Serais-je aussi dur avec ma propre fille si elle ne montrait jamais signe de magie ? Je n'aurais su le dire, mais j'avais l'intime conviction que jamais je n'engendrerais de cracmol, ma foi et ma dévotion autant pour ma religion que mon idéologie devaient m'en protéger, je n'avais aucun doute à ce sujet. Mieux valait ne jamais avoir de doute quand on se donnait corps et âme pour ses croyances, soit dit en passant.

- Si vous voulez, nous pouvons l'écourter par transplanage.
   


   
   

Je lui souriais à nouveau alors qu'elle se défendait bec et ongles, d'ailleurs, contre quoi au juste ?

- Le luxe sera à votre portée si vous réussissez cette mission, elle ne serait alors qu'une première et je vous ai promis de me montrer reconnaissant.

Surtout que la générosité était facile quand il s'agissait de l'argent du Maître ! Les mangemorts, eux, étaient tous un peu radin, c'était un fait connu. Est-ce que je me mentais à moi-même concernant mon prétendu bonheur conjugal ? J'aimais ma femme et ma fille par dessus tout, mais il existait des tensions au sein du foyer et comme tout homme qui se respecte, je m'auto-persuadais qu'elles allaient s'apaiser avec le temps... et le Seigneur des Ténèbres à la tête du ministère. Je n'aurais alors plus rien à craindre, je gagnerais ma place au sommet de la pyramide et imposerais ma vision du monde au lieu de subir les règles perverties du gouvernement actuel. Beaucoup diraient que ce n'était là qu'une hypothèse, je leur répondrais que c'était la seule fin envisageable.

J'hochais la tête, être renseigné était ma principale qualité et ma seule mission. Je ne laissais rien au hasard, du moins j'essayais de lui laisser le moins de place possible dans l'équation. La demoiselle ne renchérit pas sur le sujet, je n'aurais pas dû m'y intéresser, elle n'était qu'un contrat après tout, pourtant je ne pus m'empêcher d'en éprouver une certaine déception. Un papillon argenté vola de l'extrémité de la baguette de Cerys jusqu'à moi, j'avais à peine le temps de constater sa disparition qu'un baiser me fut donné sur la joue, tout à fait comme ma fille l'aurait fait. J’agrippais mon manteau de ma main libre, un geste salutaire me permettant d'ignorer le baiser et transplanais.

Le temps d'un battement d'aile, nous atterrissions debout dans une ruelle de Pré-au-lard. Je faisais glisser ma main hors de la sienne et passais mon manteau sur mes épaules, il faisait ici encore plus froid qu'à Londres. Malgré la pénombre faiblement illuminée d'un unique réverbère à la flamme vacillante, la rafleuse pouvait constater que la rue était bordée de maisons mitoyennes. L'une d'elle était particulièrement biscornue et semblait minuscule, écrasée entre deux masures plus conséquentes. Elle comptait 3 niveaux dont le dernier était situé au grenier à en juger par les lucarnes situées sur son toit mousseux. Je sortis de ma poche un jeu de deux grosses clés, j'avais gardé la troisième secrètement, juste au cas où. Je décidais à lui confier mes dernières instructions, chacun de mes mots faisant naître un nuage de buée se perdant dans les airs.

- Vous l'avez sans doute déjà compris, mais j'habite à quelques rues d'ici. Je ne vous donne pas l'adresse exacte parce que je sais que vous parviendrez à la connaitre en un claquement de doigt de toute façon. Si vous devez me contacter, je vous demanderai de ne pas le faire directement en vous rendant à ma porte. Mon épouse connait mes activités, mais disons que... qu'elle ne les apprécie pas toujours, alors moins elle en sait, mieux elle se porte. Même lorsque le gamin sera entre vos mains, faites le moi savoir par un moyen plus discret puis emmenez-le à l'adresse que je vous ai indiquée dans l'heure qui suit. Je vous y retrouverai.

Je soufflais par le nez en guise de point final et me tournais pour aller ouvrir la maison. Je l'invitais à rentrer dans ce qui serait chez elle jusqu'à ce qu'elle en décide autrement. Même plongé dans le noir, l'on pouvait voir que la maison n'avait pas été habitée depuis un moment. Il n'y avait ici qu'une unique pièce, un salon/cuisine chichement meublé, le premier étage abritait une chambre et une petite salle de bain, le grenier était entièrement vide. Je trouvais quelques bûches posées à côté de la cheminée que je jetais dans l'âtre pour y allumer un feu à l'aide de ma baguette. Une lumière rougeoyante se refléta sur nos visages. Je lançais alors un sommaire recurvite pour faire disparaître le plus gros de la poussière et les toiles d'araignée et rangeais ma baguette dans ma poche. Je me tournais vers la jeune femme pour ce qui était sans doute la dernière fois.

- C'est ici que nos chemins se séparent. Je vous souhaite bonne chance, même si j'espère que la chance n'aura rien à voir avec votre réussite.

J'inclinais la tête avec raideur, glissais le trousseau dans le creux de sa main en m'attardant quelques secondes de plus que nécessaire pour me plonger dans ses yeux et me détournais pour gagner la porte.