[Evan & Hestia] - I'm going to make you fall

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Evan & Hestia

I'm gonna make you fall

La tension était palpable au sein du département de la Justice Magique. Autrefois lieu de droiture et de soutien, il était devenu un lieu de suspicions où nul n'était à l'abri de subir la trahison d'un coéquipier de longue date, ou bien d'un collègue apprécié. Comme le rappelait si souvent Alastor, "vigilance constante". Depuis peu, l'on redoutait l'emprise de mages noirs sur certains employés du Ministère, sans n'avoir aucune piste quant aux personnes potentiellement concernées. C'est dans cette atmosphère que Hestia se préparait pour l'une des missions les plus dangereuses, mais qu'elle attendait le plus, de sa carrière. Suite aux suggestions d'Alastor, et bien qu'il ne puisse plus être qualifié de "collègue", la jeune femme s'apprêtait à approcher le Mangemort présumé Evan Rosier. Son fléau autant que sa distraction principale. Pour cela, elle n'allait pas tenter la confrontation directe. Cela aurait été infructueux, et idiot. Au lieu de cela, l'auror jugea préférable de s'intéresser de près aux réunions politiques et menaçantes que l'homme organisait, et d'en appréhender la teneur.

Losqu'elle quitta le Ministère ce matin-là, ses cheveux étaient blonds -elle trouvait la couleur appropriée pour une telle réunion, et moins reconnaissable que sa chevelure brune habituelle- et elle avait revêtu une cape de voyage sombre. Le tissu lui tombait sur les épaules, léger, et lui procurait un semblant de réconfort de par la chaleur qui s'en dégageait malgré tout. Après s'être isolée dans une ruelle déserte et après avoir vérifié les alentours, elle transplana et arriva à proximité du lieu de rencontre le plus récurrent, repéré par les services du département. Rejetant non sans mal la grimace de dégoût qu'elle affichait chaque fois que le nom de Rosier faisait surface dans son esprit, elle posa son regard clair sur des invididus à l'air guindé et murmurant entre eux de façon bien trop discrète pour que cela ne devienne pas suspect aux yeux de l'auror qu'elle était. Avec un petit sourire, elle suivit à quelques mètres de distance ces individus et félicita son instinct lorsqu'elle se retrouva au beau milieu d'une foule rassemblée et dans l'attente.

Hestia crispa la mâchoire, le corps en alerte face à tant d'invidus -bien plus qu'elle ne l'aurait imaginé- réunis pour une cause aussi malsaine, et prit soin de garder sa main droite à proximité de sa baguette. Après quelques battements de coeur, elle adopta toutefois le langage corporel faussement détendu des personnes qui l'entouraient afin de passer inaperçu. Puis elle attendit, le regard fixe, qu'apparaisse le semblant d'homme qu'elle s'était vue chargée de surveiller.

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A quelques mètres seulement du Chaudron Baveur, le Coeur de Davy Jones élevait sa façade lépreuse comme un pendant maléfique de l'établissement voisin. Bien qu'il soit officielement ouvert aux moldus, ce bar malfamé de Londres n'en avait pas accueilli un seul depuis le 3 mars 1881, date historique où Elton Fletcher, recordman incontesté du "plus long rot d'Angleterre" -record attesté par une petite plaque qui lui rendait aujourd'hui encore hommage au dessus du comptoir- , avait jeté le dernier dehors à grand renfort de coups de poings. Cet événement, s'il avait fait s'offusquer la communauté sorcière de Londres qui évitait toujours le tripot était, dans le coeur noirci d'Evan Rosier, la marque d'un établissement de valeur, bien trop sousestimé par ses pairs. C'est donc tout naturellement qu'il en avait fait le lieu de réception de la plupart de ses réunions publiques. Il ne s'agissait évidemment pas des cénacles entre initiés politiques et hauts dignitaires sorciers à qui il réservait un standing tout autre, mais plutôt d'une sorte de meeting à huis clos où il haranguait la foule et familiarisait le tout-venant à son idéologie.

Pour cela, Evan Rosier était prêt à faire des sacrifices, dont celui de la propreté et d'interlocuteurs dépassant le niveau intellectuel du strangulot hors de l'eau. Il se préparait mentalement dès l'aube, faisant résonner entre les murs sombres de son appartement londonien les notes languissantes de l'Ave Maria de Schubert. Cela ne l'empêcha pas de serrer les mâchoires lorsque sa secrétaire paniquée pénétra dans l'arrière boutique du bar pour lui annoncer que "la salle était prête". Il ferma les paupières et scanda en murmurant les principes fondamentaux d'Ab Irato.

Dix minutes plus tard, il la rejoignait, les traits tirés :

- Quel public avons-nous aujourd'hui ? souffla-t-il.
- Le lot de jeunes sympathisants violents habituel, quelques quarantenaires oisifs... Aucun ennemi n'a été repéré pour l'instant, répondit la secrétaire sans oser le regarder.
- Aucune trace de Maugrey ?
- Aucune.
- Jones ?
- Non plus.
- Dommage, murmura-t-il, ignorant flegmatiquement l'étonnement visible que cette réponse causa à sa subordonnée.

Il observa son reflet dans le retour d'un miroir émaillé et sale. Comme à son habitude, tout était parfait. Sa chevelure drastiquement tirée en ailleurs et gominée sans excès. Son visage totalement imberbe. Le col de sa chemise serré par une cravaté à la lisseur étonnante. Tout dans son image suggérait un contrôle total de ses émotions et des autres. Tout sauf la lueur inquiétante qui siégeait dans son oeil noir et semblait annoncer une irrémédiable tempête. Un sourire satisfait étira ses lèvres sèches.

- Faites-les taire, Jane. J'arrive.

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Ce fut une Miss Vapid tremblante et miniscule qui monta difficilement sur l'estrade qui leur faisait face. Elle toussota avec la politesse gênée d'un enfant sage et souffla, à peine plus haut qu'une prière :

- Le Sieur Rosier s'apprête à nous rejoindre ainsi...

Une appréciation rugissante s'éleva dans la salle et la fit fuir aussitôt. A quelques mètres de là, un sourire satisfait étira les lèvres fines du Mangemort. Il franchit le long couloir qui le mènerait à la scène en dansant un tango endiablé avec une amante invisible, sans se soucier le moins du monde de ce que le tavernier, venu l'accueillir, en pensait. Il lui murmura :

- La plèbe avinée de Londres n'est-elle pas charmante ?
- Ah si, si. Si, si, répondit le commerçant, tout à fait circonspet.

Le Mangemort lui saisit la main droite et, sans demander quoi que ce soit, y écrasa le chewing-gum rosâtre sur lequel il passait ses nerfs depuis une heure. Visiblement choqué et effrayé, le tavernier ne dit rien, se contentant de le fixer comme un scrout en plein Lumos. Il lui tapota la joue avec miséricorde :

- Merci, mon brave.

Evan Rosier ne monta pas sur l'estrade : il y bondit. Sous l'acclamation presque hystérique de son public du soir, il inclina brièvement la tête en levant haut les deux bras. Avec ce qu'il pensait être une patience infinie, il attendit que les applaudissements cessent.

- Votre enthousiasme, brave peuple de Londres, me touche, annonça le Mangemort avec un sourire de pitié.

Un public raffiné aurait compris à cette phrase que l'orateur attendait le silence. Malheureusement, les âmes qui occupaient les lieux ce soir-là n'avaient jamais assisté aux réunions mondaines auxquelles Evan Rosier était d'ordinaire habitué. Cette phrase, dont l'immense majorité ne comprit pas la portée méprisante, eut pour effet de renouveller leur ardeur. Une nouvelle salve d'applaudissements, plus soutenue que la précédente, souleva la salle. Un tic nerveux crispa le visage du Mangemort. Il serra la mâchoire et lissa nerveusement sa cravate dans l'espoir qu'ils cessent enfin de faire tant de bruit :

- SILENCE ! hurla-t-il, une veine de son front menaçant d'exploser.

Un calme sépulcral s'imposa. Rosier déglutit et reprit, d'une voix à nouveau calme :

- Le prochain qui à l'idée peu brillante de signifier son adhésion à mes idées d'une manière plus bruyante qu'un chèque qu'on signe... Devra trouver en lui des trésors de souplesse pour réussir à applaudir sans main.

Il sanctifia sa dernière phrase d'un sourire bienveillant. A sa grande surprise, aucun des membres du public ne s'offensa de cette menace, au contraire. Certains hochaient la tête d'un air entendu, visiblement ravis que le prétendant au poste de Ministre de la Magie ait plus de poigne que le mollasson en place. Un seul regard semblait ouvertement réprobateur. Un regard dont le bleu glacial crispa la lèvre supérieure du Mangemort dans un rictus. Il garda le silence de longues secondes, ses yeux noirs sans fond toujours profondément dardés dans celui de la jeune femme. Il finit par scander, en levant à nouveau les bras, sans rompre le contact visuel :

- Bienvenue.

Personne n'applaudit.

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Les murmures enthousiastes et l'agitation n'en finissaient plus de résonner autour d'elle, la plongeant dans une bulle sans cesse fragilisée par les bribes de conversation qu'elle parvenait à saisir au vol. L'attente semblait interminable. Quelques minutes supplémentaires au beau milieu de cette foule d'idiots sans retenue auraient suffi à ce qu'elle aille elle-même chercher Rosier pour le tirer par l'oreille jusqu'à l'estrade. Prise d'un ennui monstre, elle observa un homme d'une quarantaine d'années, le teint rougeâtre et la panse particulièrement développée, donner une tape enthousiaste sur l'épaule de ce qu'elle présumait être son fils tout en lui annonçant fièrement : "Tu verras mon garçon, ça, c'est un homme comme on en trouve plus !". Ce qui la fit ouvertement rouler des yeux et détourner son attention du duo. Fort heureusement, elle n'eut pas à chercher une source de distraction supplémentaire. Avec pitié, elle observa la femme rompre momentanément le vacarme devenu monotone de sa voix faible, et la suivit de ses yeux compatissants lorsqu'elle quitta l'estrade.

Lorsque le Mangemort se présenta finalement, Hestia fut l'une des seules à rester parfaitement immobile. Une décision qui n'était pas des plus sages, la mieux étant de mimer les actions de ceux qui l'entouraient en applaudissant à son tour. Mais même la plus grande volonté du monde n'aurait pas suffit à l'animer davantage, en cet instant. Les yeux braqués sur l'individu au centre de l'estrade, son attention entière était à présent focalisée sur lui. Le cri de Rosier fut une surprise. Son intérêt piqué par cette démonstration d'impatience, elle se contenta de hausser les sourcils. Mais son expression devint impertinente lorsque deux yeux noirs comme la nuit croisèrent les siens, après qu'il ait ouvertement menacé la foule qui l'entourait. Un sourire sardonique étira ses lèvres suite au mot de bienvenue de l'homme. A présent qu'elle était repérée, ce qui n'était guère étonnant et même inévitable dans une mêlée de si bas niveau, elle s'autorisa à croiser les bras sous sa poitrine. L'entrée du Mangemort promettait un charmant spectacle, aussi en vint-elle à le toiser alors que leurs yeux restaient fermement ancrés l'un dans l'autre. D'un bref mouvement du menton, elle l'invita, même l'intima à poursuivre. Dorénavant, il avait son attention, la moindre des choses serait qu'il s'en montre digne.

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Il y avait quelque chose d'insolent dans le regard de Jones. Une image fugace s'imposa dans son esprit. Jones était attachée sous la lumière verdâtre de sa cave. Les bras meurtris pas les liens, le visage plein d'ecchymoses, les lèvres abîmées par le bâillon. Même dans cette position, il en était certain, elle lui offrirait le même regard. D'un geste imperceptible, il serra le poing droit. Pourquoi ne l'avait-il pas reconnue plus tôt ? Pourquoi son physique -imprimé dans sa rétine- n'avait pas aussitôt retenu son attention ? Il détacha son regard du sien et la considéra avec plus de recul. Une moue de dégoût non dissimulée déchira son visage lorsqu'il s'aperçut qu'elle s'était teint les cheveux. "Immonde" articula-t-il en silence avant de couvrir la salle des yeux. Ses futurs fidèles semblaient accrochés à ses lèvres ; celui le ravit autant que ça lui donna la nausée. Il s'humecta les lèvres et déclara :

- Nous sommes ce soir réunis au coeur même de vie sorcière londonienne, mes amis. Dans cet établissement de grande qualité, comme partout : nous nous cachons. Croyez bien que j'en sois navré, irrité, horripilé... Mais tel est notre statut actuel : celui d'agitateur honni, poursuivi par les rats.

Il appuya particulièrement ce dernier mot en offrant un nouveau regard à Jones. Un murmure parcourut la salle. L'un des sorciers s'apprêtait à applaudir lorsque son voisin, bien éclairé, l'en empêcha avec empressement.

- N'en avez-vous pas assez de vous cacher ? N'en avez-vous pas assez de faire taire le loup qui vit en vous pour agir en bon petit caniche du Ministère ?

Nombreux furent ceux qui hochèrent la tête. Une émulation électrique envahit peu à peu la salle. Au bout de quarante-cinq minutes de discours haineux et enflammé, la température de l'établissement semblait avoir doublé. Rosier, pour sa part, ne semblait pas le moins du monde affecté par cette montée en pression. D'un calme olympien, il clotura son séminaire :

- Me propulser à la tête du Ministère n'est pas une "bonne idée", c'est une nécessité.

Bien qu'ils comprirent que sa participation était terminée, ses fidèles n'osèrent pas se manifester, de peur de se voir retirer les deux mains. Après avoir roulé des yeux, le Mangemort glapit, comme un enfant capricieux :

- C'est maintenant qu'il faut applaudir, bande d'ahuris !

Bien loin de se révolter contre l'insulte, la foule obtempéra avec conviction. Il roula des yeux et claqua des doigts. Trois gorilles, cachés dans le fond de la salle apparurent. Ils indiquèrent la sortie aux fidèles. Sur une nouvelle indication gestuelle du Mangemort, ils empêchèrent Jones de sortir. Une fois seuls, Rosier lui offrit son sourire le plus goguenard.

- Que nous vaut cette... Repoussante visite, Miss Jones ?

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Hestia était devenue blême. La fin du discours du politicien lui arracha des frissons d'horreur. Elle mettrait fin à ses propres jours plutôt que d'assister à la propulsion de cet homme au poste de Ministre de la Magie. Une ambition dont elle et plusieurs collègues se doutaient déjà, mais dont elle devait informer Alastor au plus vite s'ils voulaient avoir le temps d'agir. Le corps animé d'une détermination nouvelle, la jeune Auror suivit la foule dans l'espoir de s'extirper d'une confrontation qui ne serait que perte de temps et envies de meurtre. Ceci avec la conviction profonde qu'elle ne s'en tirerait pas si aisément. Les trois gorilles qui lui barrèrent la route lui donnèrent raison. Avec un haussement de sourcils qui lui donnait l'air particulièrement sceptique, Hestia les jaugea tour à tour, de haut en bas. Si Rosier pensait qu'il serait aussi simple de l'impressionner... Elle calcula qu'il ne lui faudrait pas plus de vingt secondes pour conduire ces gorilles à l'inconscience. Leur principal atout était après tout leur air intimidant, en ce qui concernait un combat, les poids lourds étaient toujours un avantage pour elle. Plus massifs, plus lents, plus empotés. Et bien plus de zone à couvrir de sortilèges. Mais bien plus de complications si elle venait à engager une offensive.

- Soit, murmura-t-elle avant de se tourner vers la figure désagréable du Mangemort.

"Repoussante", disait-il. D'autant plus sceptique, elle se contenta de le détailler à son tour de haut en bas avec tout le dédain du monde. Puis son expression changea du tout au tout et elle afficha un sourire mielleux.

- J'étais curieuse, Rosier. Qu'est-ce qui pouvait bien rassembler une telle foule dans ce lieu si... Singulier ?

Elle illustra ses propos en laissant son regard glacial glisser sur le décor sinistre. Elle s'en détacha rapidement, jugeant plus sage de garder un oeil méfiant sur le sorcier.

- Déformation professionnelle, dirons-nous, ajouta-t-elle d'une voix posée.

Avec attention, elle contourna la forme du Mangemort de sorte à ne pas se retrouver piégée par la disposition du lieu, préférant s'assurant une liberté de mouvement et d'actions dans le cas où l'échange s'avérait tumultueux.

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La première erreur de Jones fut de penser que Rosier comptait l’impressionner. L’idée même d’impressionner qui que ce soit – serait-ce le Maître lui-même – lui était totalement étrangère. Evan Rosier n’agissait toujours que pour sa majestueuse personne et se fichait éperdument de ce que le reste du monde pouvait en penser. La seconde erreur de Jones fut de mentir. On ne se grimait pas sous une nauséeuse coloration jaunâtre par simple curiosité. Elle le pistait, il en était certain. Cette pensée, bien loin de lui être désagréable, lui arracha un sourire. Il arqua à son tour un sourcil et, d’un simple regard appuyé, signifia aux gorilles qu’il était temps pour eux de partir.

- Monsieur… Mmmh… Voilà qui est embêtant, je ne me souviens plus de l’odieux nom de cette âme ordinaire, ponctua-t-il d’un rire amusé.

Il claqua des doigts. Un homme vêtu d’un tablier tâché accourut jusqu’à eux. En voyant que Rosier était accompagné, le tavernier jeta une regard inquiet à la jeune femme. Il murmura :

- La salle vous a convenu, monsieur Rosier ?
- Une table, pour deux. Du vin. Et des verres propres, répondit sans un regard le mangemort qui semblait plongé dans l’observation obsessionnelle de Jones.

Une lueur mauvaise faisait briller ses prunelles, plus noires que celles d’un requin. Il glissa dans son dos une main ferme mais douce et la dirigea galamment vers la table qu’on venait de dresser pour eux. Gentleman, il tira délicatement sa chaise et l’invita à s’asseoir.

- Ma chère Jones, si nous sommes, selon votre capricieux cycle menstruel, condamnés à nous côtoyer à nouveau, autant que cela débute dans un cadre plus appréciable que votre infâme salle d’interrogatoire.

On leur apporta une bouteille de vin des elfes sur un plateau. Connaisseur, Rosier l’ouvrit et servit délicatement son invitée avant de s’asseoir face à elle. Il leva haut son propre verre et trinqua :

- A votre adorable incapacité à me foutre la paix.

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Bien entendu, Hestia était parfaitement consciente qu'il ne serait pas dupe. Le prétendre, en revanche, était un amusement malsain. Le mépris évident du Mangemort pour le tavernier lui arracha un regard réprobateur. Elle chercha brièvement une explication à cet étrange phénomène où des hommes se laissaient ouvertement insulter et exploiter, mais n'en trouvant pas, ravala ses commentaires acerbes en s'humectant les lèvres. Jugeant cela plus doux pour le tavernier de ne pas le confronter à sa situation. La main que Rosier plaça dans son dos lui arracha un frisson de rejet. Elle fut reconnaissante à sa cape de voyage épaisse d'en dissimuler la réaction physique. Un bref instant, elle fut tentée de résister, de Transplaner hors de ce lieu, loin de cet homme. Mais elle devait appréhender son ennemi, se nourrir de ses expressions faciales et de son langage corporel. Mieux le connaître, pour mieux lui nuire.

Alors, elle se laissa guider jusqu'à la table dressée pour eux et s'assit élégament. Pendant ce temps, elle laissa le sortilège de Glamour qu'elle avait lancé sur ses cheveux se fragiliser, jusqu'à ce que ses boucles brunes habituelles ne viennent reposer sur ses épaules. Avec attention, elle l'observa leur servir un verre et pinça les lèvres d'agacement. Du Vin des Elfes, son préféré. Elle était forcée d'admettre qu'il était connaisseur. A ses paroles, l'Auror lui adressa un regard flegmatique, nullement déconcertée par ses propos. Elle trinqua à son tour, et en prit une unique gorgée avant de reposer le verre.

- A votre adorable empressement à me retenir ici, rectifia-t-elle sur un ton doucereux.

La mine fière, elle laissa son regard froid glisser sur le décor. Croisant les jambes dans une posture détendue, elle plongea ses yeux sceptiques dans ceux de l'homme.

- Il ne s'agit pas réellement d'un cadre que je qualifierais d'appréciable. Mais je reconnais que selon vos critères, Rosier, il serait traître d'espérer mieux.

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Le Mangemort porta à ses lèvres le verre à pied ouvragé qu’il s’était généreusement servi. Sous cet angle de vue, le vermeil sombre du vin mettait en lumière la peau diaphane de sa compagne du soir. Ses cheveux, à nouveau bruns, finissaient de sublimer cette blancheur spectrale. Il arqua un sourcil en l’observant. Cette pâleur semblait issue d’une grande pureté. Une pureté trompeuse, il se savait. Les femmes étaient les plus viles créatures de toute la création magique. Si les moldues lui semblaient totalement dénuées d’intérêt, les sorcières étaient, il en était persuadé, toutes possédées par des démons. Cela les rendait fascinantes et légitimait selon lui toutes les tortures les plus cruelles. Ainsi, le vin qui vint piquer sa langue en échauffant ses sens lui sembla être le sang de Jones qu’il aurait goûté à même la plaie. Il battit des paupières de satisfaction avant de reposer son verre dans un sourire :

- Vous m’avez offert une salle d’interrogatoire dominée par des relents de transpirations masculines que masquait à grand peine votre parfum bas-de-gamme pour notre première entrevue, très chère. J’ai jugé délicat de ne pas vous confronter à un standing trop élevé tout de suite, répondit-il avec un sourire.

Une fois encore la ressemblance physique frappante entre Jones et son épouse lui sauta au visage. Quelque chose dans le scepticisme de cet œil bleu lui rappelait Beth. Sans qu’il ne sache pourquoi, il s’imagina un instant faire exploser la bouteille de vin des elfes du bout de sa baguette. La peau trop pâle de Jones serait souillée du spiritueux. Il se lèverait, saisirait l’un des éclats de verre et, tout en se glissant derrière elle sur un air de valse autrichienne, le lui planterait dans la gorge. Le sang se mêlerait au vin pendant qu’elle agoniserait sous sa main.

Le regard perdu dans le vide, tout entier absorbé par ces rêveries délicieuses, il en oublia presque la présence réelle de la jeune femme. Il secoua la tête et reprit :

- Je vous laisse m’interroger dans ce cadre légèrement plus guilleret, Mrs Jones. Qu’êtes-vous venue savoir ?

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L'absence momentanée de Rosier était un appel à tous les vices. L'Auror imaginait sans peine les rêveries dans lesquelles il s'était perdu, un instant durant lequel il aurait été si simple de lui lancer un sort. Elle se contenta pourtant de lui adresser un regard dur et réprobateur, avant d'afficher une mine détachée au moment où il semblait revenir parmi les vivants. Que ne rêvait-elle, à son tour, de le voir croupir dans la cellule la plus isolée d'Azkaban. Elle le voyait déjà, les cheveux emmêlés par la crasse et la sueur, balbutiant sous l'emprise des Détraqueurs, sa tenue de prisonnier détrempée de sueur, le visage creusé et l'oeil hanté... L'image la fit sourire, presque amoureusement. Le regard lointain mais profondément amusé, elle porta son verre à ses lèvres et prit une nouvelle gorgée, afin de savourer pleinement cette vision. Mais quand la voix de son adversaire vint perturber ses songes, elle reposa le verre en soupirant. Elle lui accorda un regard hautain, et susurra :

- Vous posez bien des questions, pour un homme qui prétend se soumettre à un interrogatoire.

La saveur riche du vin lui fit clore les paupières. Elle s'humecta les lèvres. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, ceux-ci avaient pris une teinte plus sombre, et observaient intensément le sorcier.

- Au risque de vous décevoir, je suis ici pour observer, non pour interroger.

Et pourtant, cette journée avait été fructueuse. En l'espace de quelques heures, elle avait obtenu bien plus de réponses qu'elle n'avait de doutes au départ. Rosier, Ministre de la Magie ? Elle périrait avant de voir ce jour, elle s'en fit la promesse. Elle ajouta, après une pause :

- Les conclusions que je tire de cette observation sont... Peu surprenantes.

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